Pour ce mois de Juillet, je voulais te partager le portrait d’une personne que j’aime beaucoup. Que j’aime tout court même, puisqu’il s’agit d’un membre de ma famille.
C’est avec Greg que j’ai discuté pendant plus d’une heure de son histoire que je connaissais déjà, mais seulement dans les “grandes lignes”.
Aujourd’hui, je te propose de te parler de liens du cœur, d’amour et d’adoption. Car oui, Greg a été adopté. Tu es pret.e à découvrir son histoire?! C’est parti!
Je te fais un portrait rapide avant de tout te raconter en détail. Greg a 36 ans, il est restaurateur, habite en Auvergne et vit depuis 2018 une histoire d’amour avec Laurène. Il ont aujourd’hui un petit garçon de deux mois qui s’appelle Auguste.
Greg a grandi avec sa sœur Elodie, qui a 35 ans, et ses parents. Sauf qu’au début, ce n’était pas encore ses parents.
Lorsqu’il nait, Greg a déjà 12 frères et sœurs, de la même maman mais de plusieurs papas différents. Sa maman s’appelle Madeleine. Elle donne ensuite naissance à Elodie, la petite sœur de Greg, avec qui il partage le même papa, sans savoir qui c’est.
Greg vit avec sa maman et sœur jusqu’à ses 18 mois, puis il est placé dans une famille d’accueil. Ca veut dire que sa maman n’était pas capable de s’occuper d’eux, et un jugement devant un tribunal a décidé que d’autres adultes devaient s’occuper d’eux et les faire grandir. Lorsque cela arrive, les enfants peuvent être placés en foyer, avec de nombreux enfants et adultes encadrants, ou en famille d’accueil. Une famille qui accueille des enfants et qui les élèvent alors que ce ne sont pas LEURS enfants.
C’est ce qui se passe pour Greg et Elodie. Lorsqu’ils s’installent chez Guy et Chantal, Greg a 18 mois. Ils les appellent Tonton et tata. Il grandit, va à l’école, a plein de copains. Certains savaient qu’il vivait en famille d’accueil, d’autres non. Dans tous les cas, Greg ne se souvient pas de moqueries ou de moments de méchanceté, et il grandit, en pleine forme.
J’ai envie de tout savoir sur cette première période de sa vie. Je lui pose pleins de questions, mais Greg n’a pas beaucoup de souvenirs de ses 10 premières années de vie. Comme si ça n’avait pas été important, ce qui s’était passé AVANT.
Il me raconte ce dont il se souvient. Durant ses 3 premières années de vie, Greg voit sa maman, Madeleine, de temps en temps. Elle vient “à la maison”, là où vit Greg et sa sœur, chez Guy et Chantal. Greg se souvient que dans ces moments là, il jouait avec son camion de pompier, et que sa maman le regardait, sans trop parler, sans jouer avec lui. Dans l’album de famille, il y a une photo de Madeleine avec Greg et Elodie, dans la cuisine de Chantal et Guy. Il n’y a rien de caché, rien qu’on ne peut pas dire, c’est la femme qui l’a mis au monde et qui n’a pas été capable de l’élever. Voilà.
De son papa biologique, Greg ne sait rien. Et cela ne le dérange pas.
J’ai demandé à Greg s’il en voulait à sa maman. Il répond non, sans hésiter. Il la remercie d’avoir permis à ses parents de devenirs ses parents. De renoncer à son autorité parentale, qu’on lui avait déjà restreint en lui enlevant la garde de ses enfants, cela leur a permis d’être “adoptables”.
En 1990 (à peu près, car comme je te le disais, Greg n’a pas vraiment de souvenirs précis de cette période), Chantal et Guy commencent une procédure d’adoption. Pour qu’ils deviennent leurs parents. Leurs vrais parents. Une assistante sociale venait régulièrement rendre visite aux enfants, et avec Chantal et Guy, la question est posée à Elodie et Greg : est-ce qu’ils souhaitent devenir les enfants de Chantal et Guy. Ils répondent oui tous les deux. Mais pour Greg, dans son cœur, c’est déjà le cas. Ce sont déjà ses parents, même si ce n’est pas “officiellement” le cas.
La procédure d’adoption dure longtemps (environ 5 ans), et le 24 mai 1995, le jugement est rendu : Greg a un papa, et une maman. Je ne sais pas si tu te rends bien compte de ce que cela veut dire, j’ai eu du mal aussi à imaginer ce qu’on pouvait ressentir dans un tel moment. Greg avait une sœur, depuis toujours, et à l’âge de 10 ans, il avait un papa et une maman. Deux personnes qu’il a appelé pendant presque 10 ans Tonton et Tata.
Lorsque j’imagine ce moment de la vie de Greg, je me dis que ça a dû être incroyable. Dans le sens où ça n’arrive pas tous les jours une telle histoire, et que d’un coup, tout a changé. Il vivait déjà “en famille” chez Chantal et Guy. Mais Greg s’appelait Greg Tixier. Et BIM, du jour au lendemain, il change de nom. Il s’appellerait maintenant Greg Faverdin. Tu imagines changer de nom demain? Greg dit que “ça fait tout drôle”. Il appelait Chantal et Guy Tonton et Tata, et BIM, du jour au lendemain, ils les appellent Papa et Maman.
Il est donc arrivé à l’école le 25 mai 1995, le directeur avait réunit toute l’école, et a expliqué aux enfants que Greg et Elodie allaient changer de nom de famille puisqu’ils avaient été adoptés. Le directeur a aussi expliqué aux enfants ce qu’est l’adoption.
Comment tu définirais l’adoption toi? J’ai demandé à Adrien, mon fils de 7 ans, et voilà ce qu’il a répondu. “Y’a quelqu’un qui est abandonné par ses parents ou alors ses parents sont morts et y’a d’autres parents qui le prenne”. Le directeur d’école a définit l’adoption comme ça : “une famille avec deux adultes qui deviennent papa et maman en accueillant des enfants qui ne sont pas sortis de leur ventre.”
A ce moment là, Greg ressent énormément de fierté. C’est le premier mot que Greg utilise lorsque je lui pose la question. Il a lui aussi un papa et une maman, comme tous ses copains. Et d’un coup, il change de vocabulaire. Des mots qu’il n’avait pas prononcé depuis qu’il était né, il peut enfin les dire : “papa”. “maman”. Même si son cœur le savait déjà, sa bouche ne pouvait pas le dire. Maintenant, ça y est, il est une famille avec Elodie, Chantal et Guy.
Pour Chantal et Guy aussi, c’est un moment rempli d’émotions. Ils n’ont pas réussit à avoir d’enfant de façon biologique (ça veut dira avoir un bébé dans son ventre). Ca y est, maintenant, ce sont enfin LEURS bébés, leurs enfants. Chantal est mère. Depuis le début, elle les a aimé comme ses enfants, mais il n’y avait aucune confusion, Madeleine était toujours leur mère, avec Guy ils étaient Tonton et Tata, sans aucun doute, même si leurs cœurs à tous les 4 ressentait plus que ça.
J’ai demandé à Greg s’il avait des souvenirs de situations particulières liées à ses 10 premières années de vie, avant d’être officiellement adopté. Par exemple, pour la fête des mères et fêtes des Pères, qu’il n’avait pas. Faisait-il des cadeaux à l’école? Et si oui, à qui les offrait-il? Greg n’a aucun souvenir. Il appelle sa sœur au téléphone. Elle non plus. Il appelle ses parents. Oui, sa maman se souvient, il faisait des cadeaux pour la fête des pères et des mères, qu’il offrait à Chantal et Guy, mais avec “Tata” et “Tonton” à la place des mots papa et maman.
J’ai également demandé à Greg s’il sentait qu’il avait une relation particulière avec sa sœur. La réponse est non. Ils s’aiment profondément, ils sont proches, mais à aucun moment ils se sont dit qu’ils étaient deux contre le reste du monde. Ils ont une relation qui ressemble à celle de nombreux autres frères et sœur, sans que cela soit plus, ou moins.
Et pour ce qui est de ses autres frères et sœurs, dont certains dont il ne connait même pas le prénom et ne les a jamais vu, ça n’est pas important pour lui. Sa vie, ce sont ses parents, et sa sœur. Il y a bien Salima, une de ses demi-sœur, qu’il voit de temps en temps, un peu comme une cousine éloignée, mais c’est tout.
Durant notre échange, je me pose quand même la question. Cela doit être un vrai chamboulement pour un enfant de vivre un tel début de vie. Greg, lui, a vécu et vit ça de façon sereine. Vraiment. Pour lui, et c’est encore le cas aujourd’hui, la vie est devant. Il n’a pas besoin de réponses, de savoir qui était son père biologique, qui sont tous ses autres frères et sœurs, il n’a pas ressenti le besoin d’aller voir un psychologue pour l’aider à grandir avec son histoire. C’est comme ça. Et ça n’empêche pas Greg de s’épanouir et prendre son indépendance.
Il a 20 ans, nous sommes en 2005. Après deux diplômes dans l’hôtellerie et la restauration (donc le travail dans les hôtels et les restaurants), Greg prend le large. Pendant 10 ans, il va être saisonnier (il travaille dans des lieux touristiques, durant les quelques mois où il y a beaucoup de monde, il y a plus de travail que le reste de l’année, comme dans les stations de ski l’hiver par exemple), et va vivre dans de nombreux endroits : à Paris, en Australie, en Inde, à Courchevel, à Monaco, à Londres… Greg a envie de découvertes, d’expériences. Il a envie de réussir, de se tromper aussi, d’être indépendant et libre de faire ses choix. Ses parents ne lui en veulent pas de partir si loin, si longtemps. Il peut du coup être vraiment lui, sans étiquette (une étiquette, c’est une façon de dire que lorsque tu es dans un endroit où on te connait, on s’imagine quelque chose de toi et il est difficile de changer ce que les gens pensent de toi. Loin de chez lui, cela n’avait aucune importance).
Lorsque je demande à Greg de me décrire cette période de 10 ans en un seul mot, il dit “expérimenter”. Il a donc fait ses propres choix, bons ou mauvais, et à un moment, il a eu envie de rentrer.
Nous sommes en 2015, Greg retourne en Auvergne et achète un restaurant. C’est un restaurant ouvert seulement le midi, ce qui lui permet de beaucoup travailler, mais d’avoir un rythme de vie agréable, puisque ses journées de travail se finissent tôt (vers 16h30, mais il commence avant 6h du matin…).
Il retrouve ses copains, s’en fait de nouveaux, fait beaucoup de sport, et en 2018, rencontre Laurène. Elle lui a plu tout de suite. Elle est tout juste divorcée et n’a pas d’enfant. Ils vont se découvrir et s’aimer.
Greg a toujours voulu être père, avoir une famille. Même si ce n’était pas forcément le désir d’être père biologique, mais surtout d’être là pour un enfant. Pour lui, “l’amour de quelqu’un qui est là dans le quotidien d’un enfant est la seule chose qui compte”. Même si biologiquement, ce n’est pas le tien. Avant de rencontrer Laurène, Greg avait un peu peur de s’engager, c’est à dire de construire une relation qui dure longtemps avec quelqu’un, d’avoir des enfants, de s’installer dans la même maison… Avec Laurène, Greg n’a plus eu peur de tout ça.
En septembre 2020, il apprend qu’il va devenir papa. Il est hyper heureux, et il n’a pas peur. Pour lui, c’est une vraie chance, un vrai cadeau de la vie de pouvoir avoir un enfant. Il dit qu’il aime les contrepieds de la vie : il a commencé sa vie sans tout avoir entre les mains, il y avait une instabilité , et la vie lui offre d’autres possibilités et se transforme en quelque chose de merveilleux à construire, comme d’avoir à son tour une famille.
Le 25 mai, il devient père. Au moment de partir à la maternité il dit “j’ai rendez-vous avec la vie”. Cette phrase restera le moment clé du basculement entre un avant et un après. Auguste né. Le mois de mai est décidément un mois symbolique (important donc) pour Greg. Il a été adopté un 24 mai et devient père un 25 mai.
Greg me raconte l’histoire de ce prénom. Guy, son papa, s’appelle Guy Auguste Faverdin. Guy était le dernier Faverdin de sa famille, et n’ayant pas eu d’enfants jusqu’au moment de l’adoption, il n’y aurait plus eu de Faverdin après sa mort. Puis Greg est devenu son fils. Le nom allait donc rester “vivant”. Greg et Laurène ne savaient pas si leur enfant allait être une fille ou un garçon. Mais si c’était un garçon, il s’appellerait Auguste. Un clin d’œil à son papa, après Guy Auguste Faverdin, Auguste Faverdin naissait.
Après l’euphorie de la naissance passée, Greg a une grosse pensée pour ses parents, eux qui n’ont jamais eu la chance de porter dans leurs bras un tout petit bébé si important pour eux. C’est avec une immense émotion qu’a eu lieu la rencontre. Greg me raconte qu’il a vraiment le sentiment de faire un cadeau à ses parents. Chantal ne ressent pas de douleur, et est pleine de gratitude de pouvoir vivre un tel moment. Depuis le temps qu’elle attendait d’être grand-mère! ; )
Greg me confirme qu’Auguste saura tout de son histoire familiale, histoire singulière qu’il a bien voulu partager avec moi, comme un cadeau. Pour conclure, il me dira qu’il a une confiance aveugle dans la vie. Qu’il avait très envie d’être père et que cela aurait été difficile de ne pas avoir d’enfants. Mais que les chemins de la parentalité sont nombreux et diverses (cela veut dire que l’on peut devenir papa de pleins de façon différentes!), et qu’il ne faut pas avoir peur. Si on a trop peur dans la vie, on ne fait rien.
J’espère que ce nouvel épisode de Vies de famille t’aura plu, qu’il t’auras ouvert les yeux sur des choses que tu ne connaissais pas, qu’il t’aura donné envie d’en savoir plus sur l’adoption, sur le travail saisonnier, sur celui de restaurateur, sur les familles d’accueil…
Je te souhaite un très bon mois d’Aout, avec un peu plus de soleil qu’en Juillet, et la poursuite de supers vacances!
Lucie.